Le décret de loi en préparation qui interdit la consommation de tabac dans les lieux publics m’inquiète. Ce décret sera adopté, sans aucun doute, et sera appliqué.
Je me rend compte, peut être avec une nostalgie naïve, que le monde que nous allons construire ne sera plus le même.
Demain, il n’y aura plus de cafés embrumés dans lesquelles on soigne la déprime de l'automne et les blessures du froid de l’hiver. On ne trouvera plus de comptoir fumant sur lequel on se sent capable de reconstruire le monde. Les volutes de fumées qui obscurcissent le visage de l’ami au coeur blessé disparaîtront. Plus de surprise amusée, en découvrant ses parents, dans des tenues désuètes, sur une photo de vacance, au club med, un soir près du buffet, fumant un cigare. Plus ce haut le coeur que génère l'odeur de tabac refroidi, lorsque l’on remet en ordre une salle dérangée par une réunion politique nocturne. Disparue aussi la première cigarette du jeune homme, qui manque de s’étouffer à sa première taff, mais qui se retient de tousser pour impressionner ses premières copines. Jetée aux oubliettes cette cigarette victorieuse, qui succède à une conclusion de séminaire, ou à une signature de contrat. Perdue à jamais, cette sensation de croiser un quidam errant dans les rue de Paris, la clup au bec. Surtout, fini cette cigarette si particulière, celle d’un soir d’été en terrasse, ponctuant de sa fumée la fin du dîner. Nous signons là l’arrêt de mort de tous ces moments, souvenirs, mots, signifiants et concepts.
Pourtant, je ne suis pas fumeur. Je n’ai pas consommé plus de vingt cigarettes en 26 ans de vie. Je sais que la fumée tue, et que la respirer, d’une manière ou d’une autre, équivaut à réduire son espérance de vie. Je n’ai pas d’enfants. Mais si un jour j’ai la joie d’en avoir, je ne préférerais pas qu’ils soient fumeurs. La cigarette tue, et a déjà tué trop de personnes. Chacun des morts du tabac est un être cher que sa famille et ses amis ont perdu.
Je comprends les raisons, les douleurs, les doutes et les peurs qui nous amènent, aujourd’hui, par la signature de notre président, à décréter la fin de la cigarette en société.
Mais, des périls qui génèrent ces mêmes douleurs et souffrances existent par ailleurs. Des périls que nous provoquons, eux aussi, volontairement. L’alcool bien sûr, qui lui aussi se consomme si agréablement en société. La nourriture grasse des fast food, et la convivialité télévisuelle qu’elle provoque. L’écoute, le volume à fond, dans des écouteurs, des morceaux de Nirvana, des Stones ou de Bob Sinclar. La conduite trop rapide sur
Ces risques sont peut être moins élevés, mais ils existent. Une fois la clup décapitée par la guillotine de la médicalisation de notre société, va-t-on se pencher sur chacun des risques que nous courrons pour les supprimer, et les effacer de notre monde ?
Ce qui me trouble, au-delà de la tristesse d’abandonner une facette des cafés parisiens que j’aime tant, c’est que pendant que nous supprimons la cigarette, la cause qui la rend si présente ne fait l’objet d’aucune recherche. Nous allons supprimer, effacer le symptôme social constitué de la consommation d’un poison. Bien. Mais pourquoi a-t-on à ce point recours à lui ? Qu’est ce qui nous pousse tant à tirer sur ce tube mortel ? Pourquoi des êtres raisonnables, que nous sommes supposés être, se tuent-ils ainsi chaque jour un peu plus ?
Nous allons supprimer le symptôme, mais nous n’effacerons pas la pulsion de violence qui trouve dans la clup une voie d’expression atmosphérique. Reste à savoir ce que, nous autres, allons bien pouvoir faire à présent de cette fichue envie de nous détruire.
La forme que prendra notre pulsion de destruction demain ? Par delà de la nostalgie, voila une raison sérieuse d’inquiétude.
2 commentaires:
Pour la peine,
Je m'en grille une !
Belle facon d'écrire, j'aime bien ! continue :)
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