Réflexion du 28 juin 2007.
Le constat de l'engourdissement de nos universités est désormais partagé par tous. Les diplômés des universités ne parviennent pas à obtenir un salaire en rapport avec leur niveau d’étude, les nouveautés technologiques n’intègrent que tardivement les enseignements, et les diplômés ont du mal à s’intégrer dans l’organisation de l’entreprise. Ce constat morose monopolise les esprits et les volontés, et pourtant.
Un divorce consommé.
Et pourtant si les étudiants qui ont fait la fac se plaignent souvent "de ne rien savoir faire", ceux qui ont fait de grandes écoles, après quelques années de travail, se plaignent "de ne rien savoir vraiment". L’antagonisme entre enseignement du savoir et enseignement de la fonction est amplifié par certains discours caricaturaux que l’on peut parfois entendre dans les deux institutions. A l’université, les professeurs se drapent de leurs savoirs impressionnants pour jeter un regard méprisant sur les épiciers er ouvriers des grandes écoles. Les grandes écoles de commerce et d’ingénieur traitent avec condescendance une institution héritée de temps où le savoir était une valeur, et regardent avec mépris des professeurs qui ne peuvent pas se payer un appartement dans Paris. Du point de vu des étudiants, nos structures d’enseignement supérieur ont définitivement divorcé.
Le clivage savoir fonction est amplifié par la modernisation de l’économie.
Les diplômés de l’université vivent dans l’entreprise des difficultés qui s’inscrivent dans la mutation globale de l’économie. L'innovation technologique a remis en cause les stratégies d’entreprise et a modifié profondément la vie dans l'entreprise.
Il y a de cela 20 ans, être dépositaire d'un savoir clef de l'entreprise et devenir indispensable signait l’assurance d’un emploi stable. Mais aujourd'hui, aucun savoir n’est indispensable longtemps, et plus aucun savoir n’assure de la stabilité de l’emploi.
L’entreprise attend désormais des hommes du mouvement et de l’innovation. Un employé qui maîtrise un savoir aura sans doute plus de facilité à se différencier et à circuler dans des sphères élevées. Mais le minimum requis est un minimum fonctionnel : il faut que l’employé s’adapte, comprennent vite ce qu’il faut faire et comment, et soit capable de désapprendre et réapprendre rapidement. Le management a donc évolué d'une valorisation du savoir acquis vers la valorisation de l'agilité fonctionnelle.
Les écoles qui consacrent la réussite par le mimétisme fonctionnel - appliquer un raisonnement et une démarche à des situations apparemment distinctes mais structurellement proches – donnent à leurs étudiants une avance déterminante dans la bataille pour l’emploi et pour le salaire. L’université qui persiste à ne donner à l’étudiant que du savoir ne fournit plus les armes efficaces.
Les écoles restent fermées aux étudiants des universités.
D’un côté, les anciens étudiants de grandes écoles ressentent parfois le besoin d’élever leur niveau de connaissance et n’éprouvent aucune difficulté à entrer dans des universités ouvertes à tous. De l’autre côté, lorsqu’un ancien étudiant d’université souhaite intégrer une école pour acquérir plus d’aisance fonctionnelle, les tarifs et les concourent d’entrée lèvent une barrière quasi infranchissable.
L’université a déjà réfléchi à ce problème et, pour permettre à ses étudiants de se rapprocher des enseignements fonctionnels des écoles, a créé des institutions hersatz : IUT, IUP, et les DESS devenus Master 2 ont pour mission d’adapter un étudiant au travail en entreprise. Certains Master 2 obtiennent d’ailleurs une reconnaissance comparable à certaines écoles.
L’état se retire.
Sans réfléchir à cette distance amplifiée chaque jour entre savoir et fonction, notre gouvernement engage des mesurettes budgétaires qui permettent l’évolution aux universités les plus riches, et engluent les moins riches dans le suivisme. Le gouvernement nous adresse un message clair : l’état se dessaisi de la réflexion pédagogique qui est désormais dans les mains de ceux qui ont assez d’argent pour réfléchir.
Au lieu de se retirer d’une réflexion décisive pour l’avenir économique du pays, l’état pourrait inverser la tendance en s’investissant dans une profonde réforme de structure. Une telle réforme demande bien plus de volonté qu’elle ne demande de financement. Les universités sont déjà dotées des ressources essentielles : les enseignants, le savoir et le savoir faire y sont déjà réunis. Il s’agit « simplement » d’imposer une réorganisation de la hiérarchie des disciplines et des enseignements dans l’université. L’état est le mieux placé pour remettre en cause les pouvoirs établis et les esprits de chapelles.
L’état pourrait ainsi refonder les enseignements universitaires sur les deux dimensions fonction et savoir. Les études à l’université mèneraient alors à un diplôme bidimensionnel mesuré par un niveau fonctionnel (+3/+5) et un niveau de savoir (histoire, sociologie, physique).
Une réforme qui a tout faux.
Parce qu’elle laisse la responsabilité de l’avenir de l’enseignement aux plus riches, parce qu'elle sous-entend que le model qui mène aujourd’hui aux plus gros salaires restera le meilleur modèle demain, parce qu'elle suit et qu'elle n'anticipe pas, la réforme de l’enseignement supérieur engagée a tout faux.